Ceci n'est pas le questionnaire de Proust...

Valérie Rinaldo répond aux questions de Stéphane Ternoise


Article paru en août 2016 dans un ouvrage collectif intitulé

Montcuq en Quercy Blanc Le salon du livre

- Vous avez vingt mots, au maximum, pour retenir l'attention... Allez-y !

Sa main caresse un instant

La courbe d'une vague échouée

Au rivage de tes hanches

Vague de haute mer

Extrait de Palimpseste

- Depuis quand écrivez-vous ?

J'écris depuis une vingtaine d'années.

Mes deux premiers livres étaient des romans : le premier sur un thème mythologique et le second était un roman épistolaire.

Tous les livres qui ont suivi sont des recueils de poésie, un long cheminement de plus en plus intériorisé à travers mes thèmes de prédilection : l'amour, le temps qui passe, la mémoire des ancêtres, l'Histoire des peuples d'Afrique et des Antilles, la mort, la musique.

- Depuis quand publiez-vous ?

Mon premier livre intitulé Palimpseste est sorti cette année en mars 2016, à l'occasion du Printemps des poètes.

- Quel livre présenterez-vous en priorité ?

Ce recueil de poèmes Palimpseste occupe une place privilégiée dans l'ensemble de mes livres. C'est celui que je voulais délivrer aux lecteurs, le seul que j'ai décidé d'imprimer, un message humaniste qui me paraissait de la plus grande importance.

Plus que tout autre, il est irrigué de mon sang, porte les traces de mes errances identitaires. Je m'y dévoile au-delà de ce que l'écriture semble révéler. Il est une véritable mise à nu de mon être, sans fard, sans détour. Telles les différentes strates d'un « palimpseste », chaque page raconte un peu de mon histoire et je l'espère un peu de l'histoire de l'Humanité.

D'ailleurs, il s'agit précisément du sens que je donne au mot « Palimpseste » dans le livre : j'ai toujours eu le sentiment de porter la voix de mes ancêtres en moi tout en mettant un voile sur leurs visages.

D'origine haïtienne, née dans le sud-ouest de la France où j'ai grandi, je redécouvre dans cette odyssée poétique, la mémoire de mes ancêtres haïtiens, la mémoire des esclaves arrachés à leur terre d'Afrique et entraînés à bord des négriers vers les Caraïbes.

Toutefois, au-delà de mon histoire personnelle, ma voix chante avant tout la beauté de la vie qui passe de génération en génération, déferlante infinie ensemencée des valeurs universelles que nos ancêtres nous ont transmises : l'inattendu de l'amour et la beauté de l'enfantement, la force et le mystère de la nature, le respect que l'on doit avoir pour nos défunts, les luttes qu'ils ont menées pour leur liberté et que l'on doit poursuivre pour préserver la nôtre...

- Vos auteurs favoris en prose ?

J'aime profondément Sylvie Germain (Jours de colère, Le Livre des nuits et Magnus tout particulièrement), Giono (Le Chant du monde est absolument extraordinaire, mais peut-être Giono est-il poète avant d'être romancier?...) les récits de vie de Chamoiseau (Le volume III d'Une enfance créole, désopilant), Georges Semprun, Driss Chraïbi, Laurent Gaudé...

Dans un tout autre siècle, la poésie de Shakespeare et la prose de Rabelais qui me semblent presque complémentaires et qui me paraissent essentielles pour la santé de l'âme et du corps...

Il m'arrive aussi de me plonger frénétiquement dans les livres d'Histoire de l'Art, les monographies mais c'est par périodes comme une maladie chronique qui me prend de temps à autre...

- Vos poètes préférés?

Il est très difficile de choisir tant la poésie nourrit mon quotidien... mais puisqu'il faut citer quelques auteurs...

Je relis très souvent les textes de Saint-John Perse et de Césaire. J'y trouve un souffle épique absolument incomparable. Et la sensualité mystique des poèmes de Senghor me séduit également.

Je lis beaucoup de poésie contemporaine, des revues éditées par Voix d'encre, Multiples, Réciproque, L'Arrière-pays, Rougerie, N&B...

L'un des jeunes poètes qui m'a le plus marquée récemment se nomme Vincent Calvet. Son écriture est admirable. Et dernièrement, j'ai eu un coup de cœur pour un poète bruxellois, Jacques Vandenschrick, qui a écrit un recueil intitulé En qui n'oublie.

J'ai aussi de nombreux livres édités chez Présence africaine : Guy Tirolien, Birago Diop, Elolongué Epanya Yondo par exemple que je relis souvent.

J'aime bien également Maximin autour du thème de la créolité.

Je reste aussi fidèle à mes « anciennes amours », Aragon (le recueil Elsa notamment) qui a bercé mes années d'études au Mirail et les poètes surréalistes...

Je terminerai par les poètes haïtiens, comme un retour aux sources. L'écriture de René Depestre me touche profondément. Au-delà de ce grand auteur, iI me plaît aussi de flâner dans des anthologies de poésie haïtienne. La dernière que j'ai lue réunit des textes magnifiques et l'écriture qui a le plus retenu mon attention est celle de Louis-Philippe Dalembert dans Anthologie de poésie haïtienne contemporaine, présentée par James Noël.

- État d'esprit actuel ?

Je découvre le métier d'écrivain pas à pas - je veux dire la rencontre avec les lecteurs - et c'est un vrai bonheur. Lors des mises en voix du recueil Palimpseste par François-Henri Soulié au printemps, j'ai eu la chance de partager cette expérience d'écoute de la poésie en étant au cœur du public. C'étaient des moments très forts qui m'ont littéralement bouleversée.

Lorsqu' à mon tour, au moment de la commémoration de l'abolition de l'esclavage, le 10 mai dernier, ma voix a délivré le texte aux auditeurs, nous avons vécu un beau moment de partage. Le débat qui s'en est suivi a été passionnant.

Ainsi, j'ai hâte de renouveler ces expériences autour de Palimpseste mais aussi autour de mon prochain livre : il s'agit d'un recueil de poèmes qui rend hommage à Camille Claudel. Il devrait sortir à la fin de l'année 2016.

Et je travaille aussi en ce moment sur un autre projet : un recueil de poèmes qui sera illustré par Alain Alquier, un peintre gersois qui expose actuellement ces « bois de vie » au musée Abbal de Carbonne. C'est un artiste mystérieux qui met en lumière les flux de vie qui traversent nos corps et nos âmes, sève qui nourrit une nature charnelle. Ses œuvres nous remuent, nous dévoilent à nous-mêmes... Je suis très enthousiaste à l'idée de partager un peu ma route avec lui.

A l'heure d'aujourd'hui, le livre s'intitule Les Frontières de silence. C'est un chant d'amour, où le couple est un paysage ondoyant, une lande dont j'esquisse les frontières, des limites que je questionne, qui se dérobent pour mieux resurgir à travers les images poétiques, à travers les silences...

- Fautes qui vous inspirent le plus d'indulgence ?

La gourmandise. Je suis une bonne vivante, partageant avec mon deuxième fils le goût de la pâtisserie. Il ne se passe pas un dimanche sans que l'on teste l'une de ses recettes. Il n'a que huit ans mais c'est déjà un passionné de cuisine!

Et bien sûr, le goût pour les bons vins, mais il me semble que c'est inséparable des plaisirs de la table...

- A combien de salons du livre participez-vous en moyenne chaque année ?

Le Salon du livre que nous préparons pour le 14 août sera mon tout premier.

- Est-ce votre principal lieu de vente ?

Je vends principalement lors de soirées-débats où le livre est déclamé et suscite des questions du public. Naturellement, le recueil est ensuite dédicacé.

Selon moi, la poésie doit être populaire, dans le sens noble du terme ; elle doit être chantée sur la place publique et chacun, de toutes origines sociales, doit pouvoir se l'approprier.

La poésie, c'est le chant de la vie, elle est ce miroir fascinant que l'on promène le long des chemins comme disait Stendhal à propos du roman, épousant la marche heurtée du temps qui passe, renvoyant la sombre lumière des visages, la musique irisée de nos douleurs et de nos joies... 
[...]

- Et "la question oubliée", celle à laquelle vous auriez aimé répondre... Question et réponse !

Une réaction de lecteurs ou un article de journal qui présente bien votre ouvrage ?

Je citerais les propos de Joël Roy « Un témoin en Guyane » parus dans son blog récemment :

Une poésie à lire, pour se laisser capturer par les mots, les phrases et les métaphores de Valérie Rinaldo, Négresse de sang haïtien.

Une poésie à déclamer, pour s'approprier la rage qui te tient, la rage de continuer à vivre, malgré tout, pour s'approprier la colère impérieuse et la violence subie pour la retourner contre son auteur, à moins que cela soit contre toi-même, Négresse de sang profané ?

Une poésie à écouter, pour abandonner à l'énonciateur la douleur qui est tienne, Négresse de sang pareil au mien, et lui laisser porter à son tour le poids de tous les crimes...

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Article paru dans Adda.82 annonçant la lecture du 4 juin 2016 à Montauban

Valérie Rinaldo est haïtienne mais a toujours vécu en France. Professeur de Lettres au collège de Nègrepelisse, elle a publié un recueil de poèmes : fleuve puissant qui charrie dans ses eaux la mémoire des ancêtres remontant dans ce passé si longtemps enfoui, où elle retrouve les siens mais aussi elle-même. C'est un voyage intime, dans les couches profondes de son être, où s'étagent les générations - d'où le " Palimpseste"- voyage intérieur propre à tout être humain, chargé de poésie, quelquefois volcanique.

Nous partagerons cette lecture à l'Ancien Collège, dans la salle d'exposition "Ces noirs qui ont fait la France". A cette occasion, Valérie Rinaldo signera son livre, illustré par Jean Palomba de sérigraphies évoluant avec le temps, à l'image des mémoires. Elle signera son livre, en vente dans la salle. Venez nombreux écouter et encourager cette personnalité surprenante d'énergie créatrice et de charisme.

Marie-Paule Redon

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